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Mythes et légendes

Marotte et Litgère

"Il y a de ça longtemps, bien longtemps, puisque c'était encore du temps des moines (des chevaliers du Temple), il y avait au hameau deux jeunes orphelines, belles comme on n'en avait jamais vues et sages comme on n'en voit plus. Pareil gibier ne pouvait rester longtemps au gîte dans le voisinage d'aussi bons braconniers que des moines ; aussi les pauvres petites avaient-elles à peine quinze ou seize ans que deux des plus huppés du couvent se mirent à les rechercher d'amour ; ce qui passait alors pour grand honneur parmi les paysans. Mais les deux sœurs, soit qu'elles eussent d'autres amants ou qu'elles n'aimassent pas les moines, se moquaient des vénérables pères. Quand père Jean disait à Marotte : "Je vous aime", Marotte lui riait au nez. Quand père Pancrace voulait embrasser Litgère, zeste, elle s'envolait comme une hirondelle parmi les champs. Il eût été beau de voir le moine, avec son gros ventre, courir après.

Présents, menaces, tout fut employé, rien ne fit. On riait des menaces, on refusait les présents. Comme les deux orphelines n'avaient plus de parents pour les contraindre, ce qu'ils n'eussent pas manqué de faire en pareille occasion, les deux pères, au bout de leur latin, ne savaient plus à quel saint se vouer. Pareille résistance à laquelle ils n'étaient pas habitués ne faisait que les rendre plus amoureux. Père Jean devenait jaune comme cire ; le ventre de père Pancrace était fondu de moitié. Marotte riait de la blême figure de père Jean ; Litgère courait mille fois plus vite depuis que Pancrace était devenu plus alerte.

"Le diable seul peut faire pâlir et maigrir mes moines", dit l'abbé, "qu'on fasse venir les pères."

Les deux pères, maigres comme des chats et la cervelle toute détraquée, car l'amour les avait rendus presque fous, furent questionnés par l'abbé.

Quand, par leurs réponses, et surtout par quelques renseignements particuliers que la maîtresse de basse-cour, avec laquelle il était en grande confidence, lui avait donnés, l'abbé sut que deux jeunes filles étaient la cause de ce grand changement. "Qu'on les mette en prison, s'écria-t-il, et qu'elles soient jugées comme sorcières en plein chapitre."

La dime du diable

 L'ancienne chapelle du Temple, devenue une grange, a également sa légende.

"Le grain déposé dans cette grange devait la dîme du diable. C'était peu pour le fermier d'avoir donné la septième gerbe au seigneur, la dixième au curé, il fallait encore au diable la vingt-sixième. Des trois décimateurs, c'était le diable le moins exigeant ; et d'ailleurs, il était beaucoup plus facile à tromper que ses deux confrères. Voici pour cela le moyen tout simple employé : l'ouvrier qui comptait les gerbes dans la grange maudite s'arrêtait juste à la vingt-cinquième et recommençait une nouvelle série ; de cette manière, il n'y avait pas de vingt-sixième, et le pauvre diable était fait quinaud. Mais quand par malheur on lâchait le fatal mot vingt-six, alors le grand homme noir apparaissait au milieu d'une fumée de soufre épouvantable, saisissant sa gerbe en renversant l'imprudent compteur et lui imprimait sur l'épaule sa griffe de fer rouge."

Ces textes proviennent du livre "Les hommes et les choses du nord de la France et du midi de la Belgique" écrit par MM Aimé Leroy, bibliothécaire, et Arthur Dimaux, de la Société Royale des Antiquaires de France - 1829.